ATELIER 6 : 2 décembre 2023 - Le même et l'autre

D'abord, signalez votre participation ou absence ce 2 décembre. Merci pour cette attention !

Nous écrirons à partir de ce thème très actuel : l'autre, si mystérieux et si proche de nous.
D'abord pour les amateurs-matrices de haïkus, une référence trouvée sur internet. Saviez-vous ce qu'est le tanka, forme poétique japonaise d'où est issu le haïku ? Pourquoi ne pas en écrire ? Attention, c'est beaucoup plus exigeant que le haïku !

https://www.pippa.fr/POUR-L-AMOUR-DE-L-AUTRE-Tankas

Maintenant, pour vous mettre l'eau à la bouche, quelques textes : L’Autre
Andrée Chedid
« Je est un autre. » Arthur R.
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.
Andrée Chedid

L'AUTRE (Andrée Chedid | L'Autre - Terres de femmes (blogs.com) )


Mon autre
Mon semblable
En cette chair
Qui nous compose
En ce cœur
Qui se démène
En ce sang
Qui cavalcade
En ce complot
Du temps
En cette mort
Qui nous guette
En cette fraternité
De nos fugaces vies
Mon semblable
Mon autre
Là où tu es
Je suis.

Andrée Chedid, « La Poursuite » in Rythmes, Poèmes, Gallimard, Collection blanche, 2003, page 93.

Sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=sgAKHDjnDsY

"L'autre" - Robert Gélis "L'autre" - Robert Gélis - lieu commun (canalblog.com)

Robert Gélis, romancier et poète pour la jeunesse, est né en 1938 (il est toujours bien vivant). Il a publié des recueils de poésies (Poèmes à tu et à toi, En faisant des galipoètes...) et des contes (Histoires et contes du loup-phoque...) d'humour et d'humanité. On le retrouvera dans les poésies C2 pour la classe (Mon stylo) et dans la nouvelle catégorie du Printemps des Poètes 2009, l'humour. Voici un poème sur le thème de la différence :

Portrait de l’autre
L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien …
L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur…
L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des-fois-qu’il-irait-les-boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains…
L’Autre :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE …
C’est Toi
Robert Gélis ("Poèmes à tu et à toi")


CONSIGNES

1) L’autre : ce qui vous est complètement étranger et que vous ne voulez pas connaître (une façon d’être, de penser)
Sous forme de maxime, format court.

2) On forme deux groupes :a) les personnes se mettent face à face par deux et l’une après l’autre, se disent ce qu’elles aiment en essayant de trouver les points communs.

b) Puis on forme un nouveau groupe : même face à face : on se dit ce qu’on aime et on essaie de trouver ce qui entre nous diffère.

3) Revenu à sa table, on rédige un texte inspiré par cette rencontre.

4) J’écris une lettre ou un personnage fictif écrit une lettre pour raconter une belle rencontre ou une rencontre détestable : j’ai rencontré l’âme sœur.. J’ai rencontré quelqu’un avec qui je n’ai aucune affinité.

5) une dystopie Vous imaginez un monde où tous se ressembleraient

Bonjour,

J'adore ton texte Véro ! L'idée est très originale et tout à fait plausible, avec en filigrane toute l'admiration et le respect de ce professeur envers son ancien élève, à qui il n'aurait sans doute jamais pensé à l'époque fait tant de compliments !

Coco

Atelier du 2 décembre 2023  
Une rencontre bouleversante ;  lettre à un vieil ami, Victor.
Liliane L.
Mon cher Victor,

Nous sommes amis depuis plus de cinquante ans et je te prête une grande estime et une confiance sans limite. C’est pourquoi je décide de t’écrire au sujet d’une rencontre bouleversante qui a eu lieu en Afrique, au Cameroun à la fin des colonies où j’ai pratiqué la médecine dans un dispensaire de village situé à au moins cinq heures de route de Douala. J’étais «médecin de brousse» comme on disait à l’époque.

Un jour, dans la matinée, un petit avion avec des officiels à bord s’est posé en bordure du village. Le nouveau gouverneur venait en visite assisté de son conseiller en développement culturel et économique, ce dernier accompagné de sa belle jeune femme Anna. Je t’ai déjà raconté cette histoire mais en omettant certains détails d’importance que tu vas découvrir maintenant.

Anna se montrait curieuse de la façon de vivre des villageois, elle donnait la main aux jeunes enfants et bientôt, elle fut entourée de toute la marmaille du village. On l’invita à rentrer dans les cases, les femmes lui offrirent à boire et lui firent goûter la nourriture qu’elles avaient préparée et Anna mangeait sans réticence ces mets qu’elle ne connaissait pas. Elle passa ainsi toute la journée en compagnie des femmes et des enfants.  

Mais quand vint l’heure du départ, elle fut prise d’étourdissements puis de vomissements. Elle était incapable de marcher et se tenait le ventre douloureusement. Le gouverneur avait des obligations le lendemain et il dut repartir avec son conseiller qui me confia sa femme.

J’ai passé la nuit à ses côtés, elle avait beaucoup de fièvre et délirait. Je n’en menais pas large mais je comptais sur les médicaments dont je disposais pour envisager une amélioration de son état dès le lendemain. Il n’en fut rien, Anna délirait de plus en plus.

En lui épongeant le front, je saisissais dans son délire des mots qui formaient une sorte de récit, surtout des noms qui évoquaient des personnes de ma proche famille. Je lui demandais des précisions et ce qu’elle me livrait de ses lèvres desséchées était pour moi de plus en plus troublant.  Anna pourrait être la fille de mon père qu’il aurait eue avec Delphine, ma demi-sœur aînée âgée de plus de 10 ans que moi.

Bouleversé par ces confidences, peut-être dues à la fièvre, me disais-je, je ne savais que penser et que faire et dans l’instant, je ne fis rien pour essayer d’en savoir davantage. A mon grand soulagement, Anna se remit de son infection intestinale, son mari revint la chercher quelques jours plus tard. De temps en temps, je revoyais le couple à Douala  lors de mes rares échappées hors du village. Ils étaient fort sympathiques et me manifestaient une sincère gratitude que je freinais humblement.

Comme tu le sais, je revins en France lorsque j’appris que mon père était atteint d’un cancer. Il mourut peu de temps après mon installation dans un cabinet en ville. Durant sa pénible agonie, je n’ai pas osé lui poser les questions qui me tenaillaient sur Delphine, laquelle avait quitté notre famille alors qu’elle était étudiante, ne revenant que pendant les vacances.

Je devais avoir dix ans quand ma mère m’informa que Delphine avait des soucis «à cause d’un homme» et qu’elle ne reviendrait pas nous voir avant un moment. Je devins donc l’enfant unique du foyer, également choyé par mes deux parents qui jamais ne manifestèrent d’émotion particulière relative à «l’absente». Elle était majeure et vivait comme elle l’entendait. Naturellement, je suivis la voie de mon père en rentrant à la faculté de médecine.

A mon retour d’Afrique, j’ai fondé une famille et eus la vie bien remplie d’un médecin de ville. Ma mère a été, je crois que tu ne me contrediras pas, une belle-mère agréable pour Charlotte et une grand-mère attentionnée pour nos enfants.  

Alors qu’elle vient de mourir, et je vous remercie, toi et ta femme pour votre présence si réconfortante à l’enterrement, je réalise que le mystère «Delphine – Anna» reste entier. Il pèse comme une cape de plomb sur mes épaules. Comment ma mère a-t-elle pu effacer de la sorte sa fille aînée et vivre le restant de ses jours sans jamais y faire la moindre allusion ? Tu mesures combien ces questions à présent taraudent mon esprit !

En  repensant à ma jeunesse, essayant de faire une «auto-analyse», je me souviens avoir eu la sensation, adolescent, de vivre entre deux lignes parallèles mais non identiques, la ligne paternelle droite et lisse et la ligne maternelle plus ambigüe, avec un avant dont on parlait peu et un après ignoré. Cela peut expliquer pourquoi, mon doctorat en poche,  j’ai souhaité partir au loin, laissant mes géniteurs avec leurs non-dits. En a-t-il été de même pour Anna, elle aussi quittant sa terre natale pour l’Afrique ?

Maintenant que j’ai l’âge d’être grand-père, je me demande s’il n’est pas grand temps de faire des recherches sur cette descendance maternelle. Qu’est devenue Delphine ? Que savait Anna de son père qui serait en l’occurrence aussi le mien ?

J’ai fait le tri dans les papiers de ma mère sans y trouver aucun indice. Je te l’ai dit, elle a effacé sa fille de sa vie. L’avait-elle effacée de son cœur ?

Voilà mon cher Victor, ton ami a besoin de ton écoute, de tes questions pour l’aider à faire le point. Avant d’en parler à Charlotte, j’aimerais te voir, rien que nous deux, une  oreille amicale et attentive me paraissant plus propice à éclairer mon esprit quelque peu perturbé.

Sachant compter sur ta discrétion pour le moment, je te dis à très bientôt. Salue bien affectueusement ta famille de ma part,  Paul

Je ferme ce sujet à l'écriture mais il reste consultable. Si vous souhaitez y ajouter quelque chose je pourrais toujours le rouvrir momentanément.

Coco